Ce nid de condors qui est accroché là-haut
C’est le village de San Diego
Derrière ces murs blancs, je sais qu’on m’attend là-bas
Dans la maison de Soledad
Refrain
Mais danse, danse, danse pour moi
Danse, me revoilà
Mais danse, danse, danse avec moi
Oapita Soledad
Je reconnais les montagnes et les sentiers
Comme dans un rêve inachevé
Ils ont enterré leurs douleurs et les soldats
Les armes de la guérilla
Au refrain
Larmes de joie, ils m’accueillent en ouvrant les bras
Je retrouve leurs noms et leurs voix
Dans nos mémoires, demeure le bruit des combats
C’était il y a dix ans déjà
Au refrain
Ils portent les blessures de ceux qui ne sont plus là
Seul le temps les effacera
Qu’on sorte les guitares et la Téquila
Toute la nuit on dansera
Au refrain
Dans cet hopital de fortune, j’opérais là
Entre les bombes et les gravats
Cette petite fille criblée d’éclats qu’on m’amena
Elle s’appelait Soledad
Après mes études de médecine et un diplôme de chirurgien en poche, j’aurais pu, il est vrai, intégrer un établissement hospitalier ou une clinique privée en attendant paisiblement la retraite.
Seulement voilà ! Ce plan de carrière déjà tracé ne correspondait pas du tout à mon « plan existentiel ». Pour être en accord avec moi-même, il me fallait mettre en pratique mon serment d’Hippocrate et le mériter en le validant « sur le terrain ».
Voilà pourquoi j’ai proposé mes services à Médecins Universels qui m’a confié une mission de trois ans en Amérique du Sud, près de Santa Cruz. A cette époque, y sévissait une guerre civile interminable et la besogne ne manquait pas.
Après une formation spécifique sommaire, les préparatifs et les adieux, me voici donc à La Paz. Pris en charge dès mon arrivée, on me conduisit à Santa Cruz puis, pendant des heures de piste à travers les montagnes dans une vieille Land Rover hors d’âge qui côtoyait les précipices, j’évitai de regarder par la portière en baragouinant un espagnol scolaire avec le chauffeur qui, lui-même, baragouinait le français.
Le soir tombait quand on arriva enfin à destination, un petit village perché sur les flancs de l’altiplano : San Diego. Les habitants m’accueillirent avec un chaleureux mélange de curiosité et de respect, premier pot de bienvenue où il y avait environ une centaine d’hommes, de femmes et d’enfants plus ou moins métissés.
Je m’installais dans une vieille église en ruines en organisant mon camp de base avec un bloc quelque peu spartiate. Les premiers jours furent consacrés aux soins d’urgence : quelques blessures par balles et diverses contusions.
Machado, le chef du village, me décrivit une situation de guerre civile larvée. Afin de clarifier les choses, je lui annonçai que j’étais ici pour soigner tout être humain sans distinction sociale ou politique. Il s’avéra plus tard que les blessés gouvernementaux qu’ils appelaient « contras » étaient évacués par l’Administration en camion ou en hélico.
Réparer de l’humain, telle était ma mission, ainsi que leur prodiguer en prévention des conseils d’hygiène et de premiers secours. Chaque jour, je gagnais un peu plus leur confiance et, bientôt, ma réputation se fit par-delà des montagnes, si bien que le nombre de mes patients augmentait quotidiennement.
La guerilla faisait des ravages et l’on entendait fréquemment des détonations que l’écho répercutait dans les montagnes.
Parmi les habitants, il y avait une fillette d’une dizaine d’années qui me suivait partout en dansant et en chantant, c’était parfois agaçant. Elle s’appelait Soledad et avait un rêve : devenir danseuse professionnelle.
On m’entendait souvent ronchonner : « toujours dans mes pattes, cette gamine… ». En fait, elle cherchait à se rendre utile et elle était curieuse de tout, en posant toujours des questions : « et pourquoi ci ? et pourquoi ça ? ».
Pour l’occuper, je lui confiais parfois des petits boulots : faire bouillir de l’eau pour laver les bandages, découper les pansements, ranger les médicaments et mes instruments. Elle était très fière de remplir son rôle d’assistante.
Bref ! toujours joyeuse et pétillante, elle déclenchait parfois chez nous des fous rires quand elle imitait le lama, le chien ou Paquito, l’idiot du village.
J’ai ainsi passé trois années à soigner, réparer, recoudre de l’humain. Dur mais valorisant pour soi-même.
Ma mission se terminait lorsque, la veille de mon départ, Machado arriva en courant, essoufflé et bouleversé. « Doc, Soledad est blessée, elle a pris une grenade dans un sentier piégé ». On la remonta sur un brancard, je préparai en urgence mon bloc opératoire de fortune et on me l’amena.
Effectivement ce n’était pas beau à voir. Les éclats avaient mis ses jambes en charpie. Elle était inconsciente et avait perdu beaucoup de sang. Quelques personnes m’aidèrent au cours de cette opération qui dura toute la nuit, afin d’extraire chaque petit morceau de ferraille. Le jour se levait quand je terminai les cautérisations et les sutures, puis les pansements et bandages.
On m’apporta un grand bol de café. Je n’ai jamais autant apprécié un café !
Soledad s’était endormie et il fallait maintenant attendre que le temps fasse son œuvre de cicatrisation. Je laissai à Machado quelques consignes pour les soins et pour changer les pansements.
Mon départ pour la France était prévu le lendemain. Machado, inquiet, me demanda : « Crois-tu qu’elle remarchera un jour ? » Je lui répondis : « Oui, avec du temps ». « Crois-tu qu’elle pourra danser encore ? » J’ai préféré ne pas répondre.
De retour en France, je repris mes vieilles habitudes avec une vie paisible dans un hôpital lyonnais, mais je pensais souvent à la mission que j’avais vécue.
Dix années passèrent quand, un jour, je reçus une lettre de Santa Cruz, c’était Machado. Il m’annonçait que San Diego et la région s’étaient cotisés pour m’offrir un billet d’avion afin de me revoir et me remercier. Cette marque d’amitié me toucha beaucoup et, bien sûr, j’acceptai l’invitation.
Je partis donc les retrouver. La guerre civile avait cessé et le pays avait retrouvé la paix et moi La Paz, avec son parfum de fleurs si particulier.
En montant la route escarpée vers San Diego, j’entendais des rires et des chants qui se rapprochaient. Ils étaient venus à ma rencontre. Embrassades, pleurs, rires, joie, tout à la fois…
Le soleil se couchait à notre arrivée au village, ils étaient tous là, même ceux des environs, tous rassemblés autour d’un grand feu, un feu de joie car on fêtait mon arrivée ou plutôt mon retour. L’ambiance était là au son des guitares, charangos, flûtes et tambours ; ça chantait, ça dansait, ça trinquait : café, tequila, manzanilla et « zapata » (une bière spéciale brassée avec du maïs et de l’orge).
A côté de moi, Machado me parlait mais je ne l’écoutais pas, fasciné par une jeune femme qui dansait devant le feu. « Dieu qu’elle est belle ! mais qui est cette fille ? »
« Tu ne la reconnais pas ? c’est vrai qu’elle a bien changé en dix ans, c’est Soledad ! Toi qui étais pessimiste sur ses chances de redanser un jour, eh bien regarde le résultat, et c’est grâce à toi ».
Un peu ému, je ne sus que répondre.
Alors j’ai fait une chanson : « Soledad »